Il y a quelques mois, nous nous sommes mis en tête de venir en petite délégation à Ouagadougou pendant le Fespaco et d’organiser une projection Cinemawon de courts métrages venant de Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion. En demandant autour de nous, la journaliste et distributrice Claire Diao nous a mis en lien avec le CNA, Cinéma Numérique Ambulant, association implantée dans 8 pays de l’Afrique francophone qui organise des projections itinérantes de films à travers les pays où elle est implantée, notamment en zones rurales.
Dès le départ, nos interlocuteurs Stéphanie Dongmo et Wend-Lassida Ouédraogo, respectivement basés au Cameroun et au Burkina Faso ont été très enthousiasmés par l’idée et nous avons peaufiné ensemble le programme de notre rendez-vous. Il était question d’une exposition autour des pionniers du cinéma antillo-guyanais, d’une table ronde autour des collaborations afro-diasporiques et d’une projection de 5 courts métrages que nous avons sélectionnés au sein de Cinémawon. Nous voulions également inviter les auteur.e.s des films choisis afin qu’ils soient du voyage. Seuls deux ont finalement pu se libérer : Katia Café-Fébrissy, réalisatrice guadeloupéenne résidant à Toronto et Jean-Claude Banys, réalisateur martiniquais basé en Martinique.
Depuis les débuts de notre collectif début 2016, l’une de nos préoccupations a toujours été de préserver la diversité des films que nous programmions lors de nos projections des deux côtés de l’Atlantique. Nous avons toutefois choisi de nous focaliser principalement sur des territoires et des régions bien définis : La Caraïbe, l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Océan Indien. Nous croyons en la parenté des imaginaires d’où qu’ils viennent mais nous partions d’un constat : les films mettant en scène des histoires issues des régions citées plus haut ont du mal à exister et être diffusés pour une multitude de raisons qui sont à la fois humaines, économiques et structurelles. Et le grand rendez-vous biennal du Fespaco nous semblait une escale importante pour montrer un échantillon de ce qui se fait de notre côté et se confronter aux professionnels du continent et d’ailleurs.
Les problématiques abordées lors de la table ronde autour de l’écriture, de la langue, du financement et de la distribution des films dans nos espaces respectifs nous ont montré que la tâche est immense mais que certaines actions concrètes sont néanmoins possibles. Que d’autres collaborations, d’autres voies existent pour peu qu’on essaie. Autour de la table, Berni Goldblat, Mohamed Said Ouma, Claire Diao, Felly Sedecias, Wend-Lassida Ouédraogo et Muriel Pérez. Séverine Catélion et moi représentons Cinémawon et modérons les échanges entre les invités et le public. Il serait impossible de retranscrire tout ce qui a été dit mais parmi les choses importantes, Mohamed Said Ouma, réalisateur et producteur comorien a notamment parlé de sa préférence pour les regroupements sous-régionaux ou par affinités plutôt que les grandes fédérations en évoquant les collaborations entre La Réunion, les Comores, l’Ile Maurice et Madagascar. La difficulté du financement des films qui ne sont pas tournées majoritairement en français a été abordée également lorsque la responsable d’un festival hexagonal s’est agacée de ne pas voir suffisamment de films tournés en langue maternelle. Plein d’autres questions ont permis à nos invités de s’exprimer longuement avec pertinence et au public de réagir en conséquence. Et cerise sur le gâteau, Claire Diao a même réussi à se glisser à la fin de la discussion in extrémis après la remise des Prix Spéciaux du Festival où sa casquette de journaliste la retenait.
Entre temps la nuit était tombée sur Ouagadougou et le temps de prendre place devant le grand écran posé dans la cour juste à côté, c’était déjà l’heure de notre projection. Une projection de 5 courts métrages à l’air libre de la nuit ouagalaise, un peu moins fraiche que les soirs précédents. La projection terminée, Katia Café-Fébrissy et Jean-Claude Banys, les deux réalisateurs invités ont longuement échangé avec un public curieux. Il faut dire que le documentaire de Katia, A la Racine, évoquant la question de la contamination des sols en Guadeloupe par le pesticide chloredécone ainsi que la fiction Ban Mwen Pasaj de Jean-Claude, qui aborde les relations entre « Noirs » et « Blancs » en Martinique n’ont laissé personne indifférents et ont suscité énormément de questions dans l’assistance. Et la présence des réalisateurs a du sans doute catalyser également les questions au sujet des autres films : Love Her Doze de Warren Vrécord, L’Histoire des Lions de Marie-Sandrine Bacoul et Arthur Rambo de Guillaume Lévil. C’est à ce moment-là que la mission était accomplie. Il y avait eu rencontre. Entre les films et le public. Entre les deux invités et l’assistance. Entre des imaginaires. L’avenir nous dira à quel point elles ont été fécondes.
W. F.