Fouyé Zétwal - Making of (Partie 2)

LE TOURNAGE

W. Au fil de nos échanges avec Anyès pendant les fêtes, j’ai fini par abandonner la partie plus narrative que je pensais intégrer à notre projet mais qui aurait demandé plus de temps à la préparation comme au tournage. Un temps que je n’avais pas. C’était la dernière branche à laquelle je m’accrochais pour ne pas complètement plonger dans l’inconnu. Putain, adan kisa man fouté kò mwen la ? Bon ce n’est pas grave, si on se trompe, on le saura à la fin de ces deux premiers jours de tournage.

Jean-Yves

Jean-Yves

W. Petit retour en arrière, en sortant de Lameca avec Anyès, nous étions passés voir Jean-Yves qui était juste à côté pour tenter de le contaminer avec notre idée. Jean-Yves Bourgeois est un ami de longue date. Nous nous sommes connus de l’autre côté pendant nos études, par des amis communs. Il faisait déjà des études de cinéma à un moment où j’essayais encore de croire au zatrap du « débouché professionnel ». Après plusieurs années à travailler dans l’audiovisuel et le cinéma en Europe, sur le continent africain et dans la Caraïbe. il avait un peu bifurqué sans jamais vraiment rompre avec son premier amour. C’est avec Jean-Yves que nous avions produit mon premier court (celui avec Anyès) et il était rentré en Guadeloupe depuis. Je crois que Jean-Yves était déjà partant avant de nous entendre. Encore plus quand il a su qu’on voulait tourner dans son fief de Basse-Terre.

A. Alors que Wally s’affaire à la logistique et aux repérages, je cherche de mon côté à m’imprégner de ce personnage dont je n’ai que les grandes lignes. Dont en réalité, je dépeins les contours avec peine. Nous sommes à 2 jours du tournage. Toutefois il y a ce plan : Cette femme-fœtus à même la terre qui m’apparaît comme une vision, n’a rien d’anodin dans la construction de l’histoire que je souhaite raconter. En effet, je dressais déjà dans ma tête la métaphore du pays à travers cette femme. Elle se voulait d’une manière ou d’une autre proche de moi. Je la voulais atypique sortant d’un temps lointain aux accents oniriques. Comment pouvais-je dresser ce portrait sans un mot à la bouche ? C’est dans la chaleur du réveillon, accueillant la nouvelle année, du fin fond de ma solitude que me vient l’idée du costume. Une solitude encensée. Dans un bain feuilles démaré —Atoumo, feuilles d’oranger, brisée, aloes — que me vient à l’idée la robe aperçue quelques jours plus tôt dans l’armoire de ma mère. Cela peut paraître futile mais hormis le fait que ”le costume soit la peau du personnage” comme me l’a apprit l’un de mes maître de théâtre. Je tenais à rendre hommage au talent de couturière de ma mère. Elle fait partie de cette génération qui apprenait la couture a l’école et elle n’a cessé de se perfectionner avec les années. — Pull up for my mum ! —

W. Le choix du centre-ville est comme une évidence pour nous : Nous voulons parler du pays qui se vide et le chef-lieu semble l’illustrer déjà à merveille. Malgré le magnétisme de cette ville qui rend le chauvinisme des moun Bastè du groupe presque normal. Amandine complète l’équipe ce ce premier jour.

Amandine Grange est le couteau suisse dont on a besoin sur un tournage. Elle peut être assistante réalisatrice, assistante de production, scripte, coordinatrice de casting et sans doute bien plus que ça. Elle commence à se faire une solide expérience sur le terrain et elle ne joue pas avec la gestion du temps.

Amandine

Amandine

A. Mon costume validé par Wally, nous débutons en matinée dans les ruelles du vieux Basse-terre. Nous savions que nous voulions des espaces vides. Le centre ville n’était donc pas l’idéal mais avec notre petite équipe : Amandine — un nouveau visage sortant tout droit d’un manga — et Jean-Yves, déjà présent au côté de Wally lors du tournage de Parachute Doré, nous allions pouvoir gérer les bons moments aux bons endroits pour mettre des bouts de ce silence en image. Nous devons faire vite. Rattrapés par la lumière. La pluie aussi. Wally sentait que c’était important de filmer dans cette partie de l’île. C’est dans cette même dynamique que nous filmerons les plans avec Alain à Vieux-Habitants, la commune de mon père. Mon grand-pere. Mon arrière grand père. On ne pouvait pas viser mieux pour la scène du père. Merci Wa !

W. Le premier jour dans les rues de Basse-Terre, nous jouons à cache-cache avec la pluie dans des ruelles presque désertes. Anyès essaie des choses, on échange, on modifie, on recommence, on valide, on change de lieu. Nous arpentons comme ça plusieurs spots de la ville que Jean-Yves avait déjà balisés la veille. Puis c’est l’heure de rejoindre Alain à Vieux-Habitants, le fief d’Anyès.

A. Il faut quand même que je vous parle d’Alain. Une douceur de la nature. Nous devions nous rencontrer avant le tournage. A priori pour parler du projet. Mais plus nous discutons plus je réalise que ce n’est pas cela qui l’intéresse au fond. Mais d’avantage l’énergie qui émane de moi. Spirituel et lumineux, il me devine et dit ce que je lutte tant à cacher. Le lendemain à la fin de nos prises, je regrette que le soleil se couche déjà, ne nous laissant par maturer cette scène qui me demande tant. Tant pis. Après tout c’est sur cette fragilité que nous jouons depuis le début. En espérant que des failles jaillisse la lumière.

Alain Verspan

W. Alain Verspan est un homme de théâtre, comédien et metteur en scène et nous nous sommes connus par sa fille Anaïs. Anyès et lui se sont rencontrés la veille pour la première fois et j’étais content de voir ce qui se dégageait de leurs premiers échanges. Alain a adhéré assez vite à cette idée d’improvisation. Il a posé plusieurs questions pour essayer de cerner ce qu’exprimait son personnage. Il a proposé aussi des pistes. Pendant le tournage, il est complètement à l’écoute et nous cherchons ensemble. Nous enchaînons les prises assez vite. Le temps presse et la lumière commence à partir. Il nous a peut-être manqué une dernière prise pour être presque satisfaits mais c’est déjà trop tard.

A. Deuxième jour de tournage. Toujours à Vieux-Habitants. Ce matin là est doux. Un message de Wally me fait sortir des draps :
Byenbonjou mafia mwen !
J’ai visionné les rushes d'hier ce matin !
Y a du beau ! On croise les doigts.
A toute.”


A. Surprise ! Mister Jonathan (#queening) est avec nous. Nous sommes visiteurs de notre pays. Dans ces paysages de mon enfance, un randonneur habitué venant cueillir des feuilles nous indique un point d’eau non loin de notre spot de tournage. Dans ma position de comédienne. J’attends. J’observe. Je contemple. Me questionnant sur ce qui bouge en moi. Car il y a encore ce texte que je dois écrire. Des mots me traversent. J’attends. Amandine me raconte qu’elle est autodidacte. Qu’elle n’a jamais étudié le cinéma et gravit tranquillement les échelons, touchant à différents postes depuis quelque années. Elle me parle aussi de sa difficulté à légitimer sa présence dans le milieu. Sans commentaires. Rien de mieux que la passion et la détermination pour se construire à bien des niveaux. Le temps passe. Nous devons vite quitter la Côte sous le vent pour rejoindre le Nord Basse-Terre.

W. Jonathan Drumeaux est réalisateur et membre co-fondateur de Cinemawon. Nous nous sommes connus à Paris et j’aime travailler avec lui. Il a un sens instinctif de la mise en scène qui m’a toujours impressionné, depuis ses tout premiers clips. Et quand sur le tournage les idées se bousculent dans ma tête, il propose toujours une torche pour essayer d’y voir plus clair.

Jonathan Drumeaux

W. Le midi nous faisons une courte pause chez Anyès, pendant laquelle sa maman nous régale avec plein de petites choses : des jus de fruits de son jardin, du café et plein de petites douceurs pour nous aider à tenir l’après-midi. Le moment est magique mais pas assez long. Nous prenons la route de Lamentin pour rejoindre Tofo.

Jeff Fidelin, pendant le tournage.

Jeff Fidelin, pendant le tournage.

W. Tofo c’est Jeff Fidelin, producteur et opérateur de prises de vue aériennes depuis quelques années. C’est un autre frère d’armes, amoureux du travail bien fait et qui ne prend aucun projet à la légère. Il adhère avec enthousiasme à l’idée du plan de la femme couchée dans le champ dès notre échange téléphonique. Alors que nous prenons la route, il me prévient qu’il est rentré et qu’il nous attend. On ne le sait pas encore mais il a déjà tout le plan en tête. Lorsque nous arrivons, il nous tend des planches de bois accrochées à des cordes bricolées par lui pour coucher les (très) hautes herbes du terrain vague qui va nous servir de décor tout près de chez lui. Nous avons le temps de faire toutes nos prises juste avant l’arrivée de la pluie. Anyès jubile. Nous aussi. À la fin de la journée, j’ai un sentiment de travail accompli et de gratitude, mais je ne sais toujours pas ce que je vais faire de tout ça sans le texte d’Anyès.

En attendant de vous raconter la suite, vous pouvez (re)voir le film et sa scène finale en cliquant sur l’onglet Films en haut de la page.