Fouyé Zétwal - Making of (partie 1)

Pourquoi vouloir parler sur un blog des coulisses d’un court métrage en accès libre sur le net ? Pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que c’est un très bon prétexte pour parler de la petite famille qui a travaillé dessus, donné de l’énergie et du temps pour qu’il se concrétise. Ensuite parce que nous ne pouvons pas laisser aux seuls “likes” et nombre de vues le pouvoir de juger de la qualité d’un projet comme celui-ci. Lorsque nous nous sommes lancés ce défi de travailler sur quelque chose de totalement spontanné ensemble, nous ne savions pas vraiment où nous allions, Anyès et moi. Nous voulions expérimenter et surtout faire. Cela nous obligeait à nous questionner en permanence sur le sens de ce que nous faisions, pour nous-mêmes tout d’abord. Et pour nous, quel que soit l’accueil réservé au film, le processus et la réflexion qui y ont conduit sont tout aussi importants. Et donc en partageant ce petit carnet de route, nous espérons que cela suscitera des questions ou que tout au moins cela apportera un autre éclairage sur ce travail. Nous écrirons tous les deux (ou avec d’autres) en croisant nos souvenirs et en indiquant par notre initiale la personne qui écrit.

Anyès Noël.

Anyès Noël

Donc comme on disait, c’est à peu près comme ça, par message Whatsapp que tout a commencé…

A. Je fais un léger retour en arrière. Cet instant. Un court instant. Celui où je suis assise côté hublot de l’avion ressemble à l’élément déclencheur d’une comédie romantique ou peut être dramatique. Quoiqu’il en soit je suis là. Malgré la joie il y a quelque chose qui me hante. Aller passer les fêtes de fin d’année pour moi n’était qu’un détail. J’ai une aversion qui se confirme d’années en années pour ces fêtes. Au delà du fait que s’y glisse mon patronyme, elles se veulent d’un morbide commercial plus qu’autres choses. Qu’importe... la perte de mon grand frère me poussait à finir l’année auprès des miens. Mais à ma joie donc se mêlait tout autre chose. Une lourdeur. Une angoisse. Le sentiment qu’il me fallait trouver des moments de respirations. Et puis soudain je pense à Wally.

W. L’appel d’Anyès me trouve à la fin d’une année riche qui m’a rafraîchi les idées et a renforcé mon envie de Faire. Je repense aux Chantiers Nomades avec Stéphane Vuilet et Dominik Bernard, l’expérience Kinomada à Québec et le projet CheminArt avec Guy Gabon et Minia Biabiany,. Je commence à trouver mes repères en Guadeloupe où je suis installé depuis peu de temps, après avoir passé de longues années en Europe après le bac. Et donc quand Anyès me dit « On fait un film? », j’ai déjà compris l’importance (pour moi) de laisser de la place pour des projets spontanés, sans filet autant que possible. Avec les bonnes personnes et bien cadrés dans le temps.

Wally Fall

WALLY FALL

A. Wally est martiniquais (j’aime le fait que son père soit sénégalais), réalisateur et membre co-fondateur de Cinémawon. Cette famille que j’ai vu naître et qui se voulait déjà en marronage quand je les rencontre à Paris autour du premier court métrage de Wally. J’aimais être avec eux. Nous nous voyions pourtant rarement. Il y avait de la tendresse, de la camaraderie, de l’Amour, une soif de faire et la Liberté en toile de fond. Revenons à Wally et à ma tête qui bouillonne dans cet avion. Ça va vite. Oui Wally était le seul ami en Guadeloupe qui prenait de mes nouvelles régulièrement. Me rassurait. Me motivait. Comme ces anges. Toujours là à point nommé. Quoi de mieux que créer pour palier cette masse en moi ?

W. Anyès a joué dans mon premier court métrage, dans une autre vie, à Paris. Je me souviens que peu de temps avant le tournage j’étais allé la voir dans une représentation de « Ces jours qui dansent avec la nuit » et de sa présence solaire, seule en scène. Et depuis ça, nous avons toujours maintenu un contact vivant et plein d’affection. Même après son départ pour Haïti dont elle est tombée amoureuse après un premier tournage là-bas. Nous prenons des nouvelles régulièrement et dès qu’elle rencontre des personnes intéressantes dans le cinéma ou le monde artistique là-bas, elle m’en parle. Nous cherchons constamment des façons de nous reconnecter à cette Caraïbe, vaste et toute proche, de laquelle nous avons souvent été conditionnés à nous détourner (sauf pour les Carnavals). Je sens qu’Anyès s’est finalement trouvée en Haïti et je suis heureux pour elle.


A. Nous nous rencontrons assez vite à Basse-Terre. Nous confrontons studieusement -à la Médiathèque Caraïbe - nos envies et idées en face à face. Wally commence. Il me parle de la mort. D’une idée de film qui le travaillait. Mon obessession me poussait à l’amener à l’endroit où j’étais. Je me souviens vouloir saisir le moindre mots sortant de sa bouche qui pourrait marcher avec mon idée de départ. Il y avait ce projet qui s’amusait à revenir de temps en temps me narguer. Je l’avais appelé « Nos parents avaient des rêves ». Ça devait être un film pour moi. Des images. Le pays. Ses rues. Son silence. Des bouts de corps. Du noir et blanc ? Une réalité habillée d’un onirisme. Je voulais aussi évoquer la cause indépendantiste qui a fortement influencé le quotidien des guadeloupéens. Wally est cartésien. Deux énergies différentes ça devrait faire un bon suc. Il est aussi un brin lunaire mais il est attentif à mon discours. Il est accessible. Ouvert toujours, il écoute mais pour mieux affirmer ses choix. Il sait défendre ses positions. Nous échangeons comme ça pendant 1h30. Peut être moins, peut être plus. Nous nous entendons sur un espèce de mélange des deux. Je ne suis pas parvenu à le faire adhérer à mon idée de départ mais je m’en réjouis.

W. Quand on se retrouve avec Anyès, on a chacun des idées qu’on a envie d’intégrer dans ce projet : Anyès veut parler de l’impression de silence qu’elle a quand elle vient en Guadeloupe, elle voit un texte qui serait dit en voix-off, aimerait que ce soit une espèce de performance. Moi j’ai une idée de courte fiction qui parle de la mort et que je crois encore pouvoir intégrer à ce projet. Anyès a déjà l’idée d’un plan où elle serait couchée nue dans un champ en position fœtale à laquelle j’adhère tout de suite. Nous parlons de la population qui vieillit et du pays qui se vide de sa jeunesse. Du rôle des artistes et des difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement pour exister. Nous parlons d’Histoire et d’avenir. On cherche, on réfléchit, on parle, on rit. Le cadre de LaMéca semble être fait pour ça ! Nous nous laissons après avoir bien déblayé et nous poursuivons par téléphone et audios WhatsApp.

Echange WhatsApp :
A. Je veux écrire le texte.
W. Ok pani pwoblèm !

A. Les choses se peaufinent à distance. Nos échanges sont brefs et pratiques. Nos acquis bougent, se déforment pour mieux s’établir.

Échange WhatsApp:
W. Sak pase mafia mwen ! Ou byen !? Tu devrais écrire en créole.
A. J’y penserai
W. Actually you have to. (En fait, il le faut)
A. Pani problèm frère.
W. I know ! (Je sais !)


A. Le film prend progressivement forme dans nos têtes tandis que ma page est blanche. Du moins griffonnée. Quelques bribes par ci. Des choses à garder par là. A creuser. Ça s’échauffe. S’apaise. Je ne sais pas. Ne sait plus où aller. Ni comment dire.

W. Anyès s’agace à certaines de mes remarques ou questions. Chacun essaie de défendre sa vision du projet. On s’explique. On repart. La confrontation est toujours féconde.

A. Timal je suis perdue !

La pression due au timing est telle que l’on prend le risque de ne pas finir le texte. Après tout, nous pensions à une voix off donc ça ne devrait pas poser de problème.

Voice note Wally (01/01/2019)
« Selèkta Nanou j’ai commencé à réunir une petite équipe : Jean-Yves, Djo, Amandine. La famille. Et puis Alain (Verspan) est d’accord, tu sais je t’ai parlé de lui, il faut qu’on aille le voir ensemble.
Bon lanné. Limyè. Fòs Linivè. Lanmou. »


Mon billet de retour pour Port-au-Prince est le 6 janvier et nous tournerons sur le fil, les 4 et 5. C’est ce que nous vous raconterons dès ce samedi 6 juin.

En attendant, ceux qui ne l’ont pas vu peuvent encore voir Fouyé Zétwal sur l’onglet Films de notre site.